Enterrement de première classe pour la réserve héréditaire : Une révolution du droit des successions internationales
Par deux arrêts (Cass 1ère civ. N°16-13.151 : JurisData n°2017-018698 et Cass 1ère civ. N°16_178.198 : JurisData n° 2017-018703) du 27 septembre 2017, la première chambre civile de la Cour de Cassation écarte énergiquement le caractère d’exception d’ordre public dont bénéficiait la réserve héréditaire dans l’ordre international, alors même que les deux espèces présentaient un lien étroit avec la France.
La similitude des faits et la concomitance des affaires ont permis la Haute Juridiction d’en faire un enterrement de première classe en mettant un terme définitif à la controverse déjà ancienne qui portait sur le point de savoir qui l’emportait, en matière testamentaire, de la liberté de tester du testateur, ou de la protection des héritiers réservataires (v. en particulier en faveur du respect de la réserve M. Grimaldi – Brèves réflexions sur l’ordre public et la réserve héréditaire Defrenois 2012 p.755 n°7, et contra M. Revillard – Jusrisclasseur Civil code art. 718 à 892 Fasc. 30 n° 62).
Les faits, largement commentés par la doctrine la plus autorisée (Cass. 1re Civ., 27 sept. 2017, n°167-13.151 : JurisData n°2017-018698 – La Semaine Juridique – Edition Générale n°47, 20 novembre 2017, 1236 – La réserve héréditaire à l’épreuve de l’exception d’ordre public international – Note C. Nourissat et M. Révillard), sont connus. Deux compositeurs français, installés aux Etats-Unis depuis plusieurs décennies, avaient réalisé le rêve californien : brillante carrière à Hollywood, remariage « américain » et constitution de trusts dont les bénéficiaires étaient leur seconde épouse et leurs enfants communs.
Dans les deux cas, ils avaient toutefois eu une vie antérieure en France, et laissaient plusieurs enfants de premiers lits, nationaux et résidents français, qui contestaient leur exclusion de la succession en invoquant d’abord « feu le droit de prélèvement » (E. Fongaro, « Feu le droit de prélèvement », JCP N 2011, art. 1236) établi par la loi du 14 juillet 1819 et ensuite le caractère d’ordre public de la réserve héréditaire.
En décidant que « la loi étrangère […] qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français », la Cour de Cassation inscrit ces deux arrêts dans une logique désormais incontestable tant en droit français qu’européen d’un affaiblissement de la protection de la famille et de la solidarité familiale, au moins dans sa version patriarcale traditionnelle, héritée du code civil, et au-delà, de la tradition romano-germanique. En ce sens, ils touchent, pour certains, aux fondements et à l’équilibre même du droit français des successions (M. Goré – Defrénois – 12 octobre 2017 – n°22 – page 26). Ils revêtent donc une importance particulière.
Des arrêts attendus…
D’aucuns ont d’ailleurs pu estimer que ces décisions de la Cour de Cassation étaient « courues d’avance » (M. Nicod – Droit de la Famille n°11, Novembre 2017 Comm. 230 : La réserve héréditaire et l’ordre public international français : ou comment concilier liberté et solidarité), tant il est vrai, qu’attaqué de toute part, le caractère d’ordre public de la réserve héréditaire semblait compromis dans l’ordre international.
En ce sens, le Conseil Constitutionnel avait largement ouvert la voie à cette jurisprudence de la Cour de Cassation, en abrogeant le droit de prélèvement (décision du Conseil Constitutionnel du 5 août 2011 n°2011-159 QPC) qui permettait aux héritiers français de « prélever » leur part successorale sur les seuls actifs français de leur auteur (en se voyant attribuer le cas échéant l’intégralité de ceux-ci) dans l’hypothèse, notamment, où le de cujus les en avait, soit volontairement – par testament – soit involontairement – en établissant son dernier domicile dans un Etat ignorant la réserve héréditaire – privé.
Le droit de prélèvement constituait en quelque sorte le bras armé de l’héritier déshérité. Son abrogation revenait donc à priver les héritiers réservataires de la seule arme efficace dont ils disposaient pour faire respecter leurs droits dans l’ordre international, une décision française visant la succession d’un défunt résidant d’un Etat ignorant la réserve héréditaire, n’ayant, dans la plupart des cas, aucune chance d’être exécutée dans ledit Etat.
La loi de l’Etat de New York (New York Estates, Powers and Trust Law §3-5.1(h)) prévoit par exemple que le de cujus peut soumettre à la loi de ce seul Etat la dévolution des actifs successoraux qui y sont situés, indépendamment du lieu de son domicile ou de sa résidence. Une jurisprudence fameuse, rendue précisément au sujet de la réserve héréditaire de droit français, qu’elle refusait d’appliquer, illustre parfaitement l’impossibilité de la faire reconnaître et appliquer dans un Etat qui, comme celui de New York, l’ignore et l’exclut. (Renard, 56 N.Y.2d 973 (1982).
Qui doivent être analysés à l’aune du Règlement UE n° 650/2012 du 4 juillet 2012…
Ces deux décisions, rendues sous l’empire du droit antérieur au Règlement Européen « Succession » n° 650/2012 du 4 juillet 2012, mais postérieurement à sa publication, doivent être analysées à l’aune dudit Règlement dont l’une des innovations majeures a consisté à introduire la professio juris en droit international privédes successions. Il permet de facto aux nationaux des Etats ignorant la réserve héréditaire, résidant dans des Etats qui la connaissent, de s’en libérer par la désignation de leur loi nationale pour le règlement de leur succession.
A cet égard, la Cour de cassation lève une hypothèque importante relative à la mise en œuvre du Règlement, puisque celui-ci prévoit, en son article 35, la possibilité d’écarter une disposition de la loi gouvernant une succession si son application est manifestement incompatible avec l’ordre public du for. Ainsi, il semble hautement improbable que la Cour de Cassation invoque un jour cet article pour écarter l’application d’une disposition de droit anglais ou américain.
Les arrêts commentés constituent donc autant la conséquence logique de la refonte du droit européen des successions que de la décision du Conseil Constitutionnel précitée, fondée sur un principe « absolu » d’égalité et sur le caractère discriminatoire du droit de prélèvement, qui protégeait les seuls héritiers français au détriment des héritiers étrangers.
Cette décision du Conseil Constitutionnel – qui statuait sur une question prioritaire de constitutionnalité posée par les héritiers du compositeur de la première espèce – constitue en quelque sorte le prélude des deux arrêts commentés, qui illustrent l’affaissement de la conception traditionnelle d’un ordre public international français reposant sur la notion de « principe de justice universelle » (Cass. 1ère civ., 25 mai 1948, Lautour) et l’avènement d’une conception moins « impérialiste », qui répond plus modestement à l’exigence de protection de « principes essentiels du droit français » (Cass. 1ère civ., 8 juill. 2010, n°08-21.740).
Ils aboutissent ainsi, pour imposer l’égalité entre héritiers étrangers et français, et par une ironie piquante, à supprimer le principe – apparemment moins « essentiel » – de l’égalité entre héritiers tout court.
Nous notons à cet égard avec intérêt la solution exactement inverse, en ce qu’elle repose justement sur la nationalité du défunt, retenue par la récente loi monégasque n°1.448 sur le droit international privé qui prévoit en son article 63 que « le droit applicable à la succession […] ne peut avoir pour effet de priver un héritier de la réserve que lui assure le droit de l’État dont le défunt a la nationalité au moment de son décès, ni d’appliquer la réserve à la succession d’une personne dont le droit de l’État dont elle a la nationalité au moment de son décès ne connaît pas ce régime ».
Mais dont la portée exacte est incertaine.
La Cour de Cassation a pris soin de préciser, dans les deux arrêts commentés qu’une loi étrangère pourrait toutefois « être écartée […] si son application concrète […] condui[sait] à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels ».
Elle conserve ainsi une limite à la disparition de la réserve héréditaire dans l’ordre international en fixant un « seuil » au-delà duquel la contrariété à l’ordre public serait constituée et qui serait l’existence d’une situation de précarité économique et de besoin que certains ont pu considérer comme un « équivalent fonctionnel » anglo-saxon à notre réserve héréditaire (H. Fulchiron – Recueil Dalloz 2017 p. 2310 – 23 novembre 2017 n°40). Reste donc à savoir comment cette précarité sera évaluée.
Nous noterons enfin que, si l’arrêt d’appel (CA Paris, Pôle 3 1er Ch. 11 mai 2016, n°14/26247 : JurisData n° 2016-009541 ; JCP N 2016, n°38, 1280 note P. Bonduelle, G. Michaux, J. Leforestier) qui reconnaissait les effets du trust, sans recours à la théorie de l’assimilation, pouvait laisser augurer d’une réception directe du trust dans le cadre de la dynamique d’abord implicite (Cass. 1ère civ., 20 févr. 1996, Cts Zieseniss c/ Ch. Zieseniss et A.), puis explicite (Cass. com. 13 septembre 2011, Belvédère, n°10-25.533, JurisData n°2011-018623) de réception du trust en droit français, la Cour de Cassation n’a pas souhaité s’aventurer sur ce terrain. Sans doute n’est-ce que partie remise ; une révolution à la fois.
Geoffroy Michaux – GPM Avocats
Patrice Bonduelle – Notaire Associé – Michelez Notaire
Première publication dans La Revue Fiscale du patrimoine, Janvier 2018